La propriété intellectuelle contre les semences paysannes

Depuis plus de 10’000 ans, les paysan·nes ont librement sauvegardé, sélectionné, échangé et/ou vendu des semences, et les ont utilisées pour produire de la nourriture. Aujourd’hui, ces pratiques coutumières demeurent essentielles pour le droit à l’alimentation de toute personne, ainsi que pour la biodiversité et la sécurité alimentaire mondiales. Mais la protection des droits de propriété intellectuelle sur les semences à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), ainsi que la promotion des systèmes de semences commerciales, posent de sérieux défis à la protection de ces pratiques coutumières, au maintien des systèmes de semences paysannes et à l’agrobiodiversité.

Dans de très nombreux pays, les lois et politiques sur les semences ont été conçues dans le but de favoriser l’industrie agricole, excluant largement les semences paysannes et, dans un certain nombre de pays, la conservation, l’échange et la vente des semences paysannes ont été proscrits, ou sévèrement restreints. Les systèmes de semences paysannes et les savoirs traditionnels n’ont pas été reconnus et n’ont pas bénéficié d’un soutien adéquat. Cela a découragé et, dans certains cas, entravé la poursuite des activités agricoles paysannes. En conséquence, la diversité des semences dans le monde s’est considérablement réduite au cours des dernières décennies, en grande partie à cause d’un cadre normatif qui néglige les besoins et réalités des paysan·nes.

S’il n’y a pas de tension lorsque les paysan·nes n’utilisent que des semences paysannes, il y a des tensions lorsqu’ils utilisent des semences de ferme provenant de variétés ou de plantes protégées par la propriété intellectuelle. Dans certains pays qui ont adopté des lois conformes à UPOV 1991, les paysan·nes s’exposent à des sanctions civiles et, dans certains cas, même pénales, pour avoir conservé, réutilisé et échangé des semences de variétés commerciales conservées à la ferme. En d’autres termes, les paysan·nes sont pénalisé·es pour un comportement qui devrait être considéré comme légitime dans l’intérêt général pour une agriculture durable et la réalisation du droit à l’alimentation.

Ces tensions sont décuplées dans les pays du Sud dans lesquels une majorité de la population agricole est constituée de paysan·nes. Dans ces pays, des systèmes sui generis de protection des variétés végétales adaptés aux spécificités locales sont bien plus à même de protéger le droit aux semences tel qu’il est consacré dans la Déclaration sur les droits des paysan·nes1. Pourtant, les Etats du Nord continuent à promouvoir le modèle UPOV de 1991, particulièrement inadapté pour les pays du Sud, comme modèle unique pour protéger la propriété intellectuelle sur les semences.

Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler qu’en droit international, conformément à la Charte des Nations Unies, les instruments internationaux relatifs aux droits humains priment dans la hiérarchie des normes sur les autres instruments internationaux, tels que ceux qui protègent les droits de propriété intellectuelle.

Notes

1 Voir l’article de Raffaele Morgantini.

Pour plus d’informations, voir :

– Christophe Golay et Fulya Batur, Le droit aux semences en Europe, Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève, 2021.

– Christophe Golay, The Right to Seeds and Intellectual Property Rights, Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights, 2020.

Fiche didactique sur le droit aux semences, CETIM.

Appel à une semaine mondiale d’action contre l’UPOV, décembre 2021.

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