Vers une déroute de la réalisation de l’ODD 2

Depuis l’adoption des Objectifs du développement durable de l’ONU (ODD) en 2015, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire et de malnutrition ne cesse d’augmenter. Cela signifie clairement que les objectifs mondiaux de conservation des ressources naturelles et de protection de l’environnement, en lien avec la réalisation de l’ODD 2 « En finir avec la faim », ne pourront être atteints, en 2030, si l’on s’en tient aux politiques actuelles.

Sans une mise en cause du modèle néolibéral des système alimentaires promu par l’agrobusiness, il n’est pas difficile de prévoir le fiasco de la réalisation des quatre premiers objectifs du développement durable. Les tendances négatives actuelles de la biodiversité et des écosystèmes ont déjà sapé à 80 % des cibles des objectifs de développement durable liées à la pauvreté, à la faim, à la santé, à l’eau, aux villes, au climat, aux océans et aux terres. La perte de la biodiversité, l’accès à l’eau et la lutte contre la faim dans le monde sont non seulement des problèmes environnementaux, mais également liés au maldéveloppement économique, politique et social. Ainsi, plutôt que d’atteindre l’objectif d’éliminer la faim visée dans l’ODD 2, nous nous avançons sûrement vers une insécurité alimentaire accrue et plus exacerbée dans les pays pauvres, ainsi que vers des problèmes structurels de rupture des chaînes d’approvisionnements dans les pays dits développés.

Des décennies de réformes du marché foncier menées par la Banque Mondiale ont concentré la propriété et le contrôle des terres agricoles aux mains des élites nationales et néo-coloniales, et plus récemment, des grandes sociétés transnationales. On estime que 1% des possédant·es tirent profit d’au moins 70% des terres agricoles mondiales. Ces sociétés canalisent les produits alimentaires, bien souvent industriels, dans les chaînes d’approvisionnement mondiales corporatistes construites selon des modèles commerciaux et des règles commerciales néocoloniaux consacrés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les accords commerciaux bilatéraux.

Des décennies de réformes du marché foncier menées par la Banque Mondiale ont concentré la propriété et le contrôle des terres agricoles aux mains des élites nationales et néocoloniales, et plus récemment, des grandes sociétés transnationales. 

Le cadre des droits humains fournit aux mouvements sociaux et aux communautés en voie de décolonisation un ensemble d’outils pour rendre les États et les organisations internationales responsables de leurs obligations en matière de droits économiques, sociaux et culturels. C’est pourquoi les femmes des communautés locales en Amérique latine, en Asie et au Moyen Orient s’impliquent pour qu’un ensemble cohérent de politiques et de programmes publics, avec la participation pleine et effective des paysannes, soit au centre de la mise en œuvre du droit à l’alimentation. En effet, une véritable refonte des systèmes alimentaires nécessite un réexamen critique de la façon dont les aliments entrent et sortent du marché, ainsi que du coût réel de la production alimentaire. Les discussions autour de l’économie des systèmes alimentaires ont historiquement marginalisé les mouvements sociaux et les petit·es producteur·trices alimentaires. De plus, les politiques qui limitent l’accès au marché créent des prix injustes et imposent des réglementations inappropriées empêchant la production à petite échelle de prospérer et limitant la possibilité de créer des chaînes alimentaires de proximité et durables.

Étant donné que la majeure partie de la nourriture est acheminée via des marchés liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et régionaux (« marchés territoriaux »), il est nécessaire de soutenir davantage ces marchés par des politiques publiques, conformément à la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (art. 16). A la fois en renforçant ces marchés là où ils existent déjà et en ouvrant de nouveaux espaces pour qu’ils s’épanouissent sans répression et/ou intervention de la force économique, politique ou militaire.

Le prix élevé payé pour rejeter l’ordre néolibéral et la mainmise sur les ressources qui l’accompagne a été maintes fois constaté. Les accords commerciaux et les négociations politiques asymétriques se transforment en attaques contre les terres, les peuples et les systèmes alimentaires basés sur la production familiale. Cette violence remplit les poches des responsables de guerres et ouvre de nouveaux marchés extractivistes. Dans de nombreuses zones rurales de pays occupés, les forces étatiques et paramilitaires tuent des paysan·nes et des indigènes par centaines, le tout au nom des intérêts d’entreprises et de la sécurité de l’État. Ces entreprises, soutenues par l’armée et les forces paramilitaires, privent les pauvres d’accès aux ressources naturelles. Les mêmes acteurs et leurs alliés promettent désormais d’apporter des solutions « alternatives ». Reste que, sous les pressions économiques extérieures des grandes puissances, des millions de personnes n’ont plus accès aux marchés alors que des millions d’autres ressentent la puissance des sanctions économiques contre leurs gouvernements qui ont osé revendiquer la souveraineté des ressources alimentaires.

Les accords commerciaux et les négociations politiques asymétriques se transforment en attaques contre les terres, les peuples et les systèmes alimentaires basés sur la production familiale. Cette violence remplit les poches des responsables de guerres et ouvre de nouveaux marchés extractivistes.

De nombreux·ses habitant·es de notre planète continuent de voir leurs terres colonisées et occupées. Or, la faim dans le monde appelle à un véritable changement. En effet, que ce soit en temps de crise ou en période de « prospérité », les systèmes alimentaires mondiaux néolibéraux et néocoloniaux ont laissé tomber les peuples pauvres, affamés et marginalisés du monde, en particulier les populations rurales des pays du Sud. Ainsi, six mois déjà avant le début de la pandémie Covid-19, un rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) tirait la sonnette d’alarme1. Ce rapport, datant de mai 2019, listait une série de domaines de détérioration des déterminants sociaux de la santé. Il relève notamment que plus de 821 millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire dans le monde et que 40% de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable propre et salubre.

Il est évident que la compréhension actuelle des causes profondes de la faim et de la malnutrition des peuples ainsi que des solutions politiques qui peuvent soutenir le changement structurel à long terme n’est pas à la hauteur du type de changements attendus. Maintenant, plus que jamais, une transformation vraiment radicale en faveur des peuples opprimés est nécessaire.

La souveraineté alimentaire : une vision politique fondamentale

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite par des méthodes écologiquement rationnelles et durables, ainsi que leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux, tout en renforçant l’agriculture basée sur la paysannerie et l’agriculture familiale, la pêche artisanale, le pâturage porté par les pasteur·es ainsi que la production, la distribution et la consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique. La souveraineté alimentaire implique par ailleurs de nouvelles relations sociales sans oppression ni discrimination entre tous les êtres humains, les peuples, les classes sociales et les générations.

Pour plus d’informations, voir :

Fiche didactique sur Droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, CETIM.

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