De l’autonomie à la souveraineté alimentaire : le fil rouge des mouvements sociaux

Face à la crise sanitaire, à l’augmentation de la faim et de toutes les formes de malnutrition, à la destruction écologique et celle de la biodiversité, une centaine de regroupements, de plateformes, de mouvements sociaux, d’organisations locales et nationales du monde entier, s’engagent à soutenir les droits des paysan·nes et des citoyen·nes en faveur d’une agriculture écologique garantissant le droit à l’alimentation.

Les mouvements sociaux, bien que divers, sont soudés par un dénominateur commun : celui de la souveraineté et de l’autonomie alimentaire, exprimé par le biais de revendications bien plus riches et concrètes que la langue de bois des expert·es et des conseiller·ères de l’agro-business.

Aussi, plus de 650 ONG, syndicats et mouvements locaux1 revendiquent des systèmes alimentaires écologiques locaux, sains et durables, avec des conditions de travail décentes. Les mouvements sociaux soulignent l’importance que ces systèmes alimentaires doivent accorder à une protection des travailleur·euses et des communautés touchées par la transition vers une économie à faibles émissions de carbone et à une réduction progressive des inégalités sociales.

Les mouvements sociaux se rejoignent dans l’exigence d’un commerce international équitable, qui intègre et renforce ses critères de qualité sans nuire au développement agricole local, et qui prévoit un partage des innovations (surtout technologiques) avec les pays du Sud. Ils se rejoignent également sur leur scepticisme vis-à-vis des programmes d’ « agriculture intelligente face au climat » ou d’« agriculture régénératrice » promus par les sociétés transnationales2.

Un système prédateur, une multitude d’alternatives

Les alternatives susmentionnées prévoient également la création de mécanismes garantissant l’égalité de genre et la participation de la société civile aux processus de prises de décisions relatives aux crises sanitaires, alimentaires et ayant trait à la justice climatique. La souveraineté alimentaire va de pair avec la mise en pratique d’un programme de reconversion de l’agro-industrie et de l’élevage intensif vers un système d’alimentation basé sur l’élevage limité, local et agroécologique.

En vue de garantir la sécurité alimentaire, les mouvements sociaux, les paysan·nes en particulier, formulent des programmes avec des moyens mis en œuvre tels que la diversification des fermes et des territoires ou des mesures d’incitation à l’adaptation et à l’atténuation des changements climatiques, à la protection des sols, de l’eau et de la biodiversité. En effet, une répartition plus juste au profit des producteur·trices implique inévitablement une répartition des richesses, des terres et autres ressources naturelles.

La préservation de la nature et l’autodétermination avant la « régénération »

Les communautés rurales et locales prônent la mise en valeur des connaissances ancestrales en ce qui concerne le lien à la terre, la protection des semences et la production alimentaire. Les chantres de la croissance néolibérale parlent, eux, volontiers de « régénération » alors que la préservation et la récupération de la terre, de la faune et de la flore, font partie des méthodes dites écologiques. Concrètement, une approche authentiquement écologique permet une restauration active et généralisée (pas sous forme d’enclaves) des terres dégradées ou empêchées de se rétablir par elles-mêmes, et implique souvent de reforester des espèces indigènes et d’adopter des approches agroforestières qui ne soient pas forcément destinées à perpétuer un nouveau cycle d’exploitation. En outre, la restauration naturelle assistée des anciennes forêts et terres vise à éliminer la végétation envahissante et à clôturer les terres pour réduire la pression du pâturage tout en expropriant les grandes propriétés terriennes.

Les chantres de la croissance néolibérale parlent, eux, volontiers de « régénération » alors que la préservation et la récupération de la terre, de la faune et de la flore, font partie des méthodes dites écologiques.

Pour les communautés locales, l’eau est aussi essentielle que la terre. Dès lors, la marchandisation de l’eau et de la terre sous quelque forme « durable » ou « climate-friendly » que ce soit sont inacceptables pour les paysan·nes. Les peuples indigènes luttent bec et ongles pour s’opposer à la construction de barrages et de centrales hydroélectriques qui s’accompagnent d’un déplacement des communautés entières et endommagent gravement les écosystèmes. De plus, ils demandent de l’aide financière pour l’installation de points de collecte et de distribution équitable de l’eau et se battent pour la poursuite des responsables de la contamination des sources d’eau, de l’air et de la déforestation des terres ancestrales.

Un autre élément dont il faut tenir compte est le commerce international des produits alimentaires et leur qualité. Les systèmes alimentaires ne sont durables, entre autres, que si la limitation de l’importation de denrées alimentaires pour l’élevage est assurée. À ce propos, les mouvements sociaux demandent et développent eux-mêmes des méthodes de culture préservant les sols (agroforesterie, permaculture, polyculture vivrière agroécologique, coopératives écologiques) et visant à renforcer la production de légumineuses permettant de réduire la part de viande dans l’alimentation sans fragiliser l’apport de protéines pour les populations marginalisées/exclues.

L’agriculture écologique : garante de la souveraineté alimentaire

Les mouvements sociaux et les ONG indépendantes sont conscients des synergies entre le climat, l’environnement et la souveraineté alimentaire. Pour eux, l’agriculture écologique favorisant le stockage du carbone dans le sol, ainsi que la préservation des écosystèmes visant à abandonner les pesticides nuisibles à l’environnement n’est pas irréaliste.

C’est pourquoi, dans le contexte d’une agriculture écologique durable de proximité, les revendications suivantes sont mises en avant :

  1. le partage de méthodes de production alimentaire durables, équitables, écologiques et biologiques ;
  2. l’information à la population sur les solutions alternatives aux produits carnés et, en général, sur les produits à forte empreinte écologique ;
  3. l’organisation de ventes collectives d’aliments à des prix équitables ;
  4. la protection de la biodiversité et des ressources génétiques des écosystèmes locaux ;
  5. la favorisation des intérêts des petit·es agriculteur·trices face à ceux des transnationales ;
  6. la promotion des ventes en vrac et l’abandon des emballages plastiques ;
  7. la restauration biologique des sols pour accroître la productivité et le revenu des fermes ;
  8. la réduction des gaz à effets de serre (GES), les économies d’eau et la protection de la santé humaine ;
  9. la souscription au socle commun du collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation et la reconnaissance de la nécessité de politiques macroéconomiques en appui aux dynamiques locales ;
  10. la mise sur pied d’une sécurité sociale de l’alimentation conjointement au droit à l’alimentation, au droit des producteur·trices d’alimentation (dans la production agricole comme dans la production agroalimentaire) et au droit de l’environnement ;
  11. l’universalité de l’accès au mécanisme de sécurité sociale de l’alimentation ;
  12. l’assurance d’une bonne rémunération et de bonnes conditions de travail pour les paysans familiaux et travailleurs agricoles de l’approvisionnement alimentaire ;
  13. la sensibilisation des citoyen·nes aux thématiques agricoles et alimentaires ;
  14. la conclusion de conventions collectives en conformité avec la Déclaration sur les droits des paysan·nes ;
  15. le soutien aux coopératives solidaires et sociales pour qu’elles puissent bénéficier d’un accès facilité aux marchés locaux, régionaux et internationaux ;
  16. l’établissement d’un catalogue des cultures recommandées approuvées par la collectivité locale ;
  17. la limitation de la pêche aux besoins nutritionnels et locaux ;
  18. l’interdiction du commerce à grande échelle des céréales alimentaires et des légumes ;
  19. le pâturage en rotation impliquant la gestion des terres autochtones par ces derniers et leur autodétermination.

Revendications régionales particulières

  1. Aucun projet entraînant l’élimination, la migration, la concentration ou l’urbanisation forcée de la population.
  2. Prise de mesures urgentes dans les camps des réfugié·es abritant des familles déplacées à cause de conflits en matière épidémiologique, d’accès à l’eau potable et du droit à l’alimentation saine et suffisante.
  3. Restauration des espaces de pâturage détruits.
  4. Augmentation des niveaux d’eau dans les tourbières agricoles.
  5. Développement des programmes environnementaux afin de stopper l’avancée du désert et l’assèchement des puits d’eau.
  6. Protection accrue des cuvettes oasiennes et des espaces fertiles à cultiver.
  7. Création de couverts végétaux pour stabiliser les dunes.
  8. Construction de haies pour protéger du vent des espaces cultivables.
  9. Reconduite de l’initiative africaine pour reboiser la bande sahélienne.
  10. Collaboration entre les communautés pour créer des zones agropastorales.
  11. Politique d’urgence contre le risque imminent de famine dans les zones de conflits et de catastrophe humanitaire.
  12. Fin de l’accaparement des terres fertiles en Afrique, en Asie et en Amérique latine par les transnationales et les institutions publiques.

Notes

1 Voir les signataires de la déclaration politique de la Réponse autonome des peuples au Sommet de l’ONU sur les systèmes alimentaires.

2 Lire l’article de Selin Yetim.

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