Les dessous de l’agriculture « régénératrice »

Le système alimentaire mondial ne fait pas l’objet d’un consensus sur la scène internationale. De nombreuses grandes compagnies de l’agrobusiness telles que Nestlé, Danone ou encore Pepsico le dépeignent comme étant en crise. Ces entités proposent depuis quelques années, en termes d’alternative, un concept présenté comme une panacée : l’agriculture régénératrice. Existant depuis la fin des années 1970, cette technique a dû cependant attendre une trentaine d’années pour trouver sa vitesse de croisière au sein de la société civile et du secteur privé.

Attardons-nous un instant sur le flou encadrant son champ d’articulation. Lorsque l’on parle d’agriculture régénératrice, les définitions se multiplient et mettent l’accent, selon le contexte, sur l’un de ses aspects plutôt que sur d’autres. Cette absence de consensus est visible au niveau le plus élémentaire. Globalement, l’emphase est mise aujourd’hui sur l’« inversion de la perte de biodiversité » et la « restauration de la santé des sols, y compris la capture du carbone », s’appuyant tantôt sur l’exclusion de pratiques comme le labourage ou reposant sur des pratiques comme le recouvrement des sols ou la rotation des cultures. Les bénéfices pour la santé du sol ainsi que la séquestration du carbone font aussi l’objet d’un certain engouement1.

Certains mouvements sociaux et expert·es voient néanmoins l’agriculture régénératrice comme une possible dérive d’« éco-blanchiment ». En effet, les gouvernements permettent aux industries de ne pas prendre de mesures pour diminuer leurs émissions de gaz à effets de serre en achetant des droits de polluer.

Comme pour l’agroécologie, le terme d’« agriculture régénératrice » ne jouit pas d’une définition communément acceptée. Il ne bénéficie donc pas de définition claire au niveau national et international. Ainsi, les fermes conventionnelles peuvent également prétendre fonctionner « de manière régénératrice ». De nombreux·ses partisan·es de l’approche régénératrice y voient un avantage. Ils/elles soutiennent que les fermes conventionnelles pourraient également être encouragées à fonctionner de manière plus durable. Il est permis de douter que l’utilisation d’engrais chimiques de synthèse et de pesticides puisse être scientifiquement et pratiquement considérée comme une approche « régénératrice ».

En proposant l’agriculture régénératrice comme solution pour lutter contre le réchauffement climatique, les discours de l’agro-industrie semblent détourner l’attention de l’une des réelles sources du problème : les logiques néolibérales appliquées à l’agriculture et à l’origine d’inégalités incommensurables. De fait, la course effrénée au rendement ne paraît pas incompatible avec l’agriculture régénératrice telle que définie par les grandes firmes. En effet, d’après ces dernières, il ne s’agit pas uniquement de restaurer la qualité du sol, mais d’augmenter par la même occasion sa profitabilité.

D’où certaines interrogations : l’élan suscité par l’agriculture régénératrice présente-t-il une quête de régénératrice des sols agraires dans une optique de développement de durabilité et de reconnaissance des injustices flagrantes découlant des actions de l’agrobusiness ? Que veulent véritablement régénérer ces élites ? Les sols et leur biodiversité ? Ou alors également, voire surtout, « l’homme malade » du 21ème siècle et son système capitaliste essoufflé ? Ces questions ne sont pas sans rappeler celles de Joe Fassler : « Que peut vraiment être ‘l’agriculture régénératrice’ si les problématiques liées à l’accès à la terre, à l’équité économique et à la parité raciale ne relèvent pas de sa compétence ? »

Notes

1 Voir par exemple: Stewart, C.E., Paustian, K., Conant, R.T., Plante, A.F. and Six, J. (2007), Soil Carbon Saturation : Concept, Evidence and Evaluation. Biogeochemistry, 86, 19-31. http://dx.doi.org/10.1007/s10533-007-9140-0

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