Sécurité alimentaire: l’approche des communs pour penser la malnutrition
La sécurité alimentaire est nécessaire pour lutter contre la malnutrition. Consubstantielle du droit à la vie, l’alimentation doit être considérée comme un bien commun et non comme un bien marchand.
Selon la définition adoptée au Sommet mondial de l’Alimentation à Rome en 1996, la sécurité alimentaire existe « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Elle doit donc être abordée de façon holistique. En effet, il est primordial de s’assurer que la nourriture à disposition soit saine, équilibrée et que chaque être humain y ait accès de manière équitable. Dans les pays où la malnutrition est générale, il existe une forte corrélation entre la carence en micro-éléments tels que le zinc et la détérioration de la réponse immunitaire cellulaire. Cette « faim cachée », situation de carence en micro-nutriments (vitamines et minéraux) nécessaires à la santé humaine touchant près de deux milliards de personnes, est sans doute l’un des principaux problèmes de santé des pays du Sud.
Des stratégies comme la bio-fortification, permettent pourtant d’augmenter la teneur en vitamines et en minéraux des aliments végétaux en appliquant une méthode de sélection classique des plantes cultivées (génétique) ou de fertilisation (agronomie). La consommation quotidienne de pain et d’autres aliments à base de plantes dont la teneur en nutriments a été naturellement augmentée restaure de manière mesurable l’état nutritionnel des êtres humains. Ainsi, la bio-fortification pourrait devenir une stratégie agricole importante pour améliorer la vie de millions de personnes confrontées à la malnutrition.
Une production agricole de qualité fondée sur la préservation des sols, avec un bilan carbone organique durable, est essentielle pour une alimentation saine. Or, dans certaines régions, une carence en nutriments est observée dans les tissus végétaux : l’absorption des nutriments par les plantes y est limitée, en particulier dans les sols à faible productivité, ceux à pH élevé ou à forte teneur en calcaire. L’agriculture doit répondre à des conditions écologiques précises. Par conséquent, la biodiversité, – incluant les espèces végétales et animales endémiques –, doit être protégée par les autorités publiques, et l’agriculture, réorganisée selon les principes de l’écologie afin d’assurer la sécurité alimentaire et l’approvisionnement de nombreuses denrées de qualité.
Les aliments, biens communs ?
Considérer la nutrition comme un simple moyen de satisfaire les besoins nutritionnels afin d’accomplir des fonctions physiques serait inadéquat. La nutrition est également un droit humain fondamental, le droit à la vie, et a pour fonction de protéger la santé et de fournir aux êtres vivants des apports essentiels en énergie. En ce sens, une alimentation saine, nécessaire pour toutes et tous, doit être considérée comme un bien commun. Une telle approche ne va cependant pas de soi puisque les systèmes alimentaires sont conditionnés dans leur chaîne de valeur (production, transformation, distribution et consommation) par les relations de propriété, la marchandisation, le commerce et la société de consommation. Pourtant, la condition première pour considérer la nourriture comme un bien commun exige de ne pas l’observer comme une simple marchandise à consommer. De ce point de vue, ce qu’il faut entendre par « alimentation » est avant tout un processus social, défini par des relations sociopolitiques et des rapports de classe ancrés dans chaque produit alimentaire.
Les processus de production, de transformation, de distribution et de consommation doivent être considérés comme un tout, c’est-à-dire en tant que système. Aborder le système alimentaire dans l’ensemble de ses relations et de ses agents, permet d’appréhender la tension entre le caractère collectif de la production et l’appropriation privée de cette dernière. Une telle analyse permet également de comprendre les possibilités et les expériences de mise en commun par opposition aux relations de privatisation et de marchandisation qui affectent le système alimentaire.
De ce point de vue, ce qu’il faut entendre par « alimentation » est avant tout un processus social, défini par des relations sociopolitiques et des rapports de classe ancrés dans chaque produit alimentaire.
Le système alimentaire en tant que bien commun signifie qu’il n’est pas la propriété d’agents particuliers mais bien celle de l’ensemble de l’humanité. Étant donné que la structure agricole dépend de plus en plus de la propriété foncière des entreprises, l’accès à l’alimentation dépend étroitement de l’usage collectif de la terre. En ce sens, on peut dire que la détermination des aspects communs et des agents constitutifs de l’alimentation est beaucoup plus difficile à appréhender que la communalité d’une rivière, d’une forêt ou d’un savoir. Pour concevoir le processus alimentaire comme un bien commun, il faut nécessairement comprendre les relations qui s’opèrent à toutes les étapes dudit processus.
Pourquoi est-il si important de définir la nourriture comme un bien commun ? Premièrement, si nous voulons penser à une alternative au système alimentaire existant, nous devons actualiser cette pensée comme une critique du système existant. A cette fin, contrairement à la logique du marché, l’approche des communs est parfaitement appropriée. Avec une telle approche, la nourriture peut être considérée comme un potentiel d’émancipation des peuples.
Deuxièmement, définir la nourriture comme un bien commun permet de poser les jalons politiques indispensables au système alimentaire. Construire des alternatives nécessite par conséquent de définir correctement les acteurs en présence, et de déterminer dans quels types d’alliances ceux-ci peuvent évoluer.
Le système alimentaire rend compte de la formation et des relations de sujets en tant que producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs d’aliments. Le système alimentaire dominant – l’industrie agroalimentaire – dans le monde contemporain a été façonné autour du monopole des entreprises agroalimentaires et de la logique des entreprises à but lucratif. Fortes de leur domination mondiale, ces sociétés organisent et gèrent la production, la transformation, la distribution et la consommation des aliments dans une logique de profit. Elles soumettent ainsi ces relations à la rationalité du marché fondée sur la maximisation du profit.
La formation du système alimentaire selon la maximisation du profit contredit la fonction fondamentale de la nourriture, en tant que droit à la vie.. De la graine à la table, tout le processus ainsi que les relations entre ses agents, sont contraints par la logique de marchandisation et de maximisation du profit. Ainsi, tous les agents impliqués dans les structures agricoles sont soumis à de larges contraintes qui entravent leur capacité d’action collective : les communautés rurales sont marginalisées ; les institutions de transformation deviennent davantage privatisées et financiarisées ; l’approvisionnement alimentaire est marchandisé.
Vous trouverez plus d’informations sur la souveraineté alimentaire dans le premier numéro de Lendemains solidaires