Edito LS no 2

« The dictator is coming! » Qui ne se souvient pas de ce moment gênant au sommet de Riga (2015) où Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, accueillait avec bonhommie et tapes affectueuses sur les joues le néofasciste hongrois Viktor Orban ? Un contraste poignant avec la thérapie de choc imposée au même moment par la troïka au peuple grec lors de la crise de la dette1.

L’ « extrême centre » ou, selon Tariq Ali, « ces politiciens craintifs et dociles qui font tourner le système »2 peut ainsi plaisanter sur l’état de la démocratie, mais pas sur les choix économiques. On comprend dès lors pourquoi l’establishment s’accommode de replis identitaires – alimentés autant par des stratégies partisanes3 que par un capitalisme médiatique de plus en plus prédateur4. En retour, les leaders dits « populistes », comme Trump, Orban ou Erdoğan, ne lésinent pas sur la mise en place de politiques néolibérales. La boucle est bouclée ; et dans ce cercle vicieux, les mouvements prétendument « populistes » exploitent et alimentent la crise prolongée du système dominant dénoncée de manière constante par l’éditeur de la présente revue5.

Quel rôle jouent les citoyen·nes et les peuples opprimés dans ce jeu de dupes ? Car les ressorts du maldéveloppement sont complexes et ne peuvent être coupés des sociétés dans lesquelles ils prennent pied. Il faut par conséquent appréhender ce maldéveloppement comme le résultat de dynamiques perverses fonctionnant en vases communicants, entre la crise démocratique (défiance à l’égard du politique, désaffection des urnes, attraction de la démagogie, tentation du complotisme, inclinaison pour le racisme et la xénophobie) venant du « bas » et les projets politiques exclusivistes (recul de l’État social et division du peuple) venant d’« en haut ».

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, s’inscrit dans ce contexte. D’autres grandes puissances impérialistes en maints endroits ont misé sur leur puissance militaire pour tenter de régler par les armes des questions d’ordre politique et géostratégique. Or, la guerre entre pays est au paroxysme du maldéveloppement. Elle est rarement porteuse de solution durable, mais provoque des destructions et des souffrances indicibles pour les peuples concernés. La propagande guerrière et de présentations univoques du conflit n’aident pas à la réflexion sur les causes de la guerre ni à la recherche de solutions politiques au conflit. Elles ne font que renforcer le racisme, la xénophobie, le populisme réactionnaire et la tendance militariste des gouvernements en Europe.

Penser ensemble la montée des mouvements réactionnaires et racistes et la violence du logiciel néolibéral, c’est le credo – et la démonstration – qui animent, modestement, ce deuxième numéro de Lendemains solidaires. Offrant recul nécessaire et point d’appui pour des réflexions ultérieures, ce numéro fait entendre un autre son de cloche. En guise d’entrée en matière, les trois premiers auteurs explicitent le lien entre racisme et maldéveloppement. Dans leur réflexion sur le caractère politique du racisme, les chercheurs Federico Tarragoni et Quinn Slobodian révèlent ensuite la supercherie du « populisme de droite » : le premier en s’attaquant à son profil sociopolitique et le second à son profil économique soi-disant « anti-système ». Sont ensuite étudiés divers visages de l’exclusion – promoteurs fascisants de l’Hindutva, l’idéologie du suprématisme hindou, l’apartheid israélien, le régime bolsonarien… – en lien avec le phénomène global de maldéveloppement à l’ère de la mondialisation néolibérale. Fidèle à son approche, notre revue présente des analyses et des expériences de lutte par pays/régions ainsi que des éléments de réponses concrètes émanant des mouvements sociaux. Elle donne enfin le dernier mot à des expert·es du système des Nations Unies. Bonne lecture !

1 Pour en savoir plus sur le sujet voir l’ouvrage collectif : La vérité sur la dette grecque, éd. Les Liens qui Libèrent (LLL), 2015.

2 ALI Tariq, 2015. The extreme centre, a warning, Verso books : « Depuis les années 1990, la démocratie a pris en Occident la forme d’un extrême centre dans lequel centre-gauche et centre-droite s’entendent à préserver le statu quo ; une dictature du capital qui a réduit les partis politiques au statut de morts-vivants. » (pp. 271-272).

3 ABOU-CHADI Tarik, KRAUSE Werner, 2020. The Causal Effect of Radical Right Success on Mainstream Parties’ Policy Positions – a Regression Discontinuity Approach, British Journal of Political Science: 50 (3): 829-847.

4ACRIMED, 2022. Médias et extrême droite : la grande banalisation, Médiacritiques, n°41, janvier-avril 2022.

5CETIM, 2017. Près de 50 ans de lutte contre les inégalités, cetim.ch, 10/05/2017.

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